Fiction de l’été : Un coup de soleil

Un coup de soleil : ma fiction de l'été à suivre chaque semaine sur le blog !

C’est ma petite nouveauté de l’été qui j’espère te plaira, pendant tout l’été, je vais te partager chaque semaine un épisode de fiction sur le blog à la façon d’une série. Je posterai un nouvel épisode de ma nouvelle tous les mercredi à partir du 8 juillet.

Synopsis : Une histoire d’amitié « durable », dont personne ne sait vraiment d’où elle est partie. Elles ont 30 ans (à peu près) et bien-sûr elles peuvent compter les unes sur les autres, du moins elles le croient. Mais se connaissent-elles encore aussi bien qu’elles ne le prétendent ? Sont-elles toujours amies ou bien est-ce la force de l’habitude qui les fait se retrouver ? L’adage dit que si la parole est d’argent, le silence est d’or. Ainsi non-dits et mensonges peuvent parfois être source de beaucoup de révélations et en dire bien plus qu’elles ne l’auraient souhaitées.

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Chapitre 1 : Les retrouvailles

L a fiat 500 de Anissa se gara dans ce petit lotissement parfait aux pelouses bien tondues. Marion l’attendait déjà sur le pas de la porte un sourire aux lèvres, teinté de l’appréhension naturelle de ces retrouvailles : “Hey Bree Van De Kamp, vas-y monte, plaisanta Anissa. Je vais mettre ta valise dans le coffre, ça fera plus de place à l’arrière.

Marion acquiesça, cédant son bien le plus stricte aux mains de son amie.

– Il faut qu’on se grouille, on a déjà 2 heures de retard et on doit passer chercher Juliette.

– Ah d’accord, je me souvenais que Juju avait dit qu’elle prendrait le train sur WhatsApp et que..

– Non mais tu connais Juliette,  la coupa subitement Anissa. Elle te dit ça mais elle ne regarde ni les trains, ni les horaires. Franchement si c’est pour qu’elle arrive dans 4 jours c’est pas la peine. “

Marion ne commenta pas, elle connaissait Anissa depuis dix ans maintenant, elle avait compris que cette information clôturerait le sujet jusqu’à nouvel ordre, à moins de tenter de jouer l’avocate du diable ce qui lui avait si souvent coûté. Une pensée lui vint à l’esprit à mesure que la voiture quittait son petit quartier calme “Anissa ne lui avait pas demandé comment elle allait”. Elle secoua la tête instinctivement comme pour chasser de son champ de vision un insecte un peu trop intrusif. Elle regarda son amie, concentrée à ne pas rater la prochaine sortie au risque de prendre encore plus de retard, et lui sourit avec toute l’indulgence qui la caractérise. 

Il est sept heures, le réveil sonne à peine et comme chaque jour dans son petit appartement de Montmartre, à peine embaumé par l’odeur du café qui sitôt coulé fut avalé, Anissa est déjà sur les chapeaux de roues, ce dernier appel de 15 minutes avant de prendre la voiture, lui permettra d’organiser son départ et d’éviter tout scénario catastrophe. Une vie à mille à l’heure pour cette effrénée de la vie. Elle ne s’en plaint pas, après tout une tornade ne peut pas vivre au ralenti, n’est ce pas ? 

En se dirigeant vers le parking, elle tenta un appel vers le bureau. La messagerie automatique nasillarde de la secrétaire lui rappellera que le bureau est fermé avant 8 heures. Et merde ! Elle avait oublié ces foutus horaires d’été, tant pis aux grands maux les grands remèdes, elle pianotait déjà un sms de secours :

“Hello Paul, je t’ai laissé sur le bureau dans une chemise rouge l’intégralité du retour électeur organisé par Cécile et moi ainsi que les différents points sur l’image publique pour la réunion de vendredi. Je n’aurais pas de réseau cette semaine. Pour toutes les urgences tu peux m’envoyer un mail. Belle semaine” Puis son pouce corrigea “belle semaine” par “bon courage”. Elle savait clairement que cette semaine ne serait vraiment belle et insouciante que si finalement, le-dit Paul, faisait preuve d’un peu de courage, d’une pointe d’audace et ne la harcelait pas de messages auxquels elle se sentirait obligée de répondre. 

Bip Bip. Elle entra dans sa petite voiture, plaça ses talons sous le siège passager, son café dans le porte gobelet, avant de sortir du parking pour rejoindre ses rayons de soleil. Si ça roulait normalement elles arriveraient à l’heure qu’elle avait prévu pour faire l’apéro de ce soir sur la terrasse, elle aurait peut être même le temps de préparer ses aubergines au miso au barbecue dont les filles raffolaient.

9 heure, le réveil sonnait névrotiquement depuis bien 30 minutes à l’autre bout de sa chambre, encore une astuce que lui avait donnée Anissa “si tu mets ton réveil à l’autre bout de ta chambre sur ta commode plutôt que sur ta table de nuit au moins tu seras obligée de te lever et t’arrivera pas en retard la prochaine fois qu’on se voit”, si elle savait, pensa Juliette. Elle se tira du lit, enfila ses pantoufles tête de lapin et se dirigea vers la salle de bain. 15 minutes et une douche plus tard, cette grande blonde serait méconnaissable dans sa salopette en jean et marinière. 

Il lui restait un petit quart d’heure pour faire sa valise. Elle tira à l’aveugle sur des petits hauts, des shorts et des jupes, fourra frénétiquement dans une trousse de beauté en lin l’ensemble de sa panoplie bio pour résister au soleil, puis ajouta ses écouteurs et un bon roman d’été. Les 3 notes de vibreur de son téléphone écourtèrent cette organisation insouciante en annonçant la nouvelle des retrouvailles imminentes : “Juju prépare toi, On arrive dans 5 minutes”.

Juliette ne pu s’empêcher de sourire en lisant le message, elle avait hâte de les retrouver et de perpétuer leur petit rituel de “vacances en amoureuses”. Cette coutume annuelle depuis leurs années de lycée où elles se retrouvaient pour évoquer les durs labeurs de la vie estudiantine. Même si elles avaient toutes des vies radicalement opposées aujourd’hui, elle était certaine que cette bouffée d’air frais en Ardèche lui permettrait de se changer les idées et de trouver auprès de ses amies le réconfort dont elle manquait depuis quelques temps. 

Ses rêveries furent interrompues par le “Tuuuut-tuuuut” du pot de yaourt d’Anissa arrêté en warning en plein milieu de la rue. Juliette prit sa valise et l’ascenseur en un éclair pour embarquer dans cet habitacle qui deviendrait bientôt bien exigu avec les différents bagages de chacune.

“Hello les poulettes ! Comment ça va ?! Lança Juliette en entrant dans la voiture. Dis donc Pompon t’es belle t’a éclairci tes cheveux non ? 

– Oui t’aime bien ? J’avais envie d’un petit truc différent pour l’été. Marc m’a dit que ça me va “bof bof” j’étais un peu déçue, répondit Marion.

– Je sais que tu l’as épousé mais faut pas croire tout ce qu’il dit, ironisa Anissa. Marc il a pas un poil sur le caillou ma biche, il y connait rien en cheveux, t’es bien comme ça !  

– Et puis l’important c’est que ça te plaise surtout à toi finalement, ajouta Juliette.

– Oui sûrement. Ani t’as pris notre playlist ? 

– Bien-sûr tu me prends pour qui ? Elle est dans la boîte à gants.

Marion ouvrit la boite à gants et farfouilla dedans pour y trouver le CD de leur adolescence. 

– Je trouve pas Ani je te jure y’a pas le CD ! 

– Ah non mais j’ai pas pris le CD, j’ai mis ça sur une clé c’est plus pratique, répliqua Anissa.

– Ah ok” 

Marion sourit, un peu déçue de ne pas retrouver cet objet qui les avait pourtant suivi jusqu’à aujourd’hui.

Chapitre 2 : Le voyage dans le temps

Cela faisait 3 heures que les filles roulaient. Les banalités avaient été consommées. Ainsi Anissa avait-elle évoqué combien son travail était passionnant et prenant, qu’elle aimait toujours autant la politique, qu’elle n’aurait pu rêver mieux et plus stimulant. Marion et elle avaient alors parlé pendant au moins 40 minutes des évolutions de partis et des institutions. Il semblait que Marion plaidait sa cause et celle de tout le corps enseignant en parlant à Anissa, comme si son destin et celui de l’éducation de toutes ces jeunes cervelles en formation en dépendait. Pendant que Juliette feignait de dormir à l’arrière pour qu’on lui épargne tout jugement sur son désintérêt féroce de l’actualité. Quand Anissa décréta une pause “casse-croûte”, Juliette sauta sur l’occasion pour changer le sujet : “Est-ce qu’on pourra s’arrêter sur une aire où il y a des toilettes normaux et pas à la turque j’y arrive jamais ça me bloque !”. La scène du toilette turque avec Juliette se démenant avec sa salopette provoqua un rire général : “Tu veux dire comme la fois où tu as pris une douche ? s’esclaffa Anissa.

– Je me souviendrai toujours de ta tête quand tu es sortie trempée, rappela Marion.

– C’est ça moquez-vous n’empêche que c’était noté nulle part qu’on devait sortir – immédiatement – après avoir tiré ! Comment tu voulais que je sache moi que la chasse d’eau elle venait du plafond sur les autoroutes ?”

Anissa gara la voiture sur un parking, un peu trop rempli pour le cachet des lieux, puis les trois compères motivées par leurs estomacs affamés se dirigèrent vers l’intérieur de la station service : “Purée mais 6 balles pour un paquet de chips, ils ont une pénurie de patates ici ou quoi ? s’étonna Juliette.

– Bah pas que des patates apparemment, ils ont aussi une pénurie de sandwich triangle, de canettes et même de condoms ! 

– Pourquoi tu mates les capotes Anissa, t’as un truc à nous dire pour les vacances ? La charria Juliette.

– Les filles je vais passer un coup de téléphone à Marc pour savoir si il est bien arrivé en Normandie chez sa mère, on se rejoint dehors ! ajouta Marion”.

Au passage à la caisse, Juliette changea d’avis, elle ne prit qu’un paquet de noix de cajou grillées salées sur lequel l’image d’un petit homme dodu semblait se moquer de quiconque aurait dépensé un rein pour si peu. Elles s’installèrent toutes au soleil pour le déjeuner savourant ces moments ensoleillés avant de retourner dans leur petite voiture.

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20 minutes plus tard, Anissa sonna son rappel militaire sur les horaires. Marion prit le volant et découvrit dans le rétroviseur que cet interlude lui avait coûté un coup de soleil en plein sur le nez “ah bah comme ça je suis encore la plus belle” se dit-elle. Cette pensée qui ne dura que l’espace d’un instant fut assez imposante dans son esprit pour lui faire l’effet d’une bombe, emportant avec elle, le reste d’estime que Marion portait en elle. Elle tira sur ses manches nerveusement, ajusta le siège qui convenait certes au mètre quatre-vingt de jambe d’Anissa, mais pas du tout à son petit mètre potelé, puis empoigna le volant avec fermeté comme pour se prouver qu’il lui restait encore un peu de maîtrise de ses pensées parasites. Elle tourna la tête pour vérifier que ses songes ne l’avaient pas trahie, Anissa était sur les mails de son téléphone et Juliette envoyait des textos, elles ne remarquèrent rien de ce conflit intérieur qui traversait leur amie. Bien-sûr Marc n’avait pas répondu à son appel. Elle lui avait donc laissé un message, lui demandant de la rappeler, prétextant l’urgence d’une question “mécanique”, se sentant bien honteuse d’être obligée de mentir à son époux. Elle repensa à leurs premières années ensemble quand elle l’avait rencontré sur les bancs de l’université. Elle étudiait alors l’histoire de l’art, et rêvait de tenir une galerie, lui était en fac de droit. Après leurs 5 ans d’études, il était devenu notaire en reprenant la charge de son oncle, elle s’était cherchée quelques temps, un peu trop pour son mari, qui l’avait vivement encouragée à prendre un emploi plus stable. Alors était-elle devenue enseignante. Finalement, elle ne regrettait pas ce choix aujourd’hui, elle avait toujours aimé les enfants, elle avait ça en-elle, c’était son parcours de vie voilà tout. Grâce à leurs salaires convenables, ils vivaient en banlieue parisienne, dans une maison pratique et meublée dans un catalogue Ikea. Ils n’étaient plus très proches l’un de l’autre, leur vie sexuelle comme amoureuse était à l’image du reste, réglée comme du papier à musique, une symphonie pour classe moyenne ++ sans fausse note. À mesure qu’elle retraçait le fil de son chemin, les kilomètres défilaient et elle rata la sortie, elle s’était perdue. 

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Juliette occupait souvent des petits boulots qui lui payaient tout juste le loyer, mais par dessus tout elle haïssait cette question que tout le monde pose tout le temps “tu fais quoi dans la vie ?”. Comme si l’intégralité de sa vie devait se résumer à son activité professionnelle. Elle avait toujours eu envie de répondre “moi dans la vie je fais ce qui me plait” ou “un truc du genre”, mais ça faisait pas très adulte alors très souvent elle mentait. Elle était devenue une funambule de la question, elle répondait en oscillant à la manière d’une équilibriste sur le fil de ses galéjades, ne se souvenant pas précisément à quelles menteries elle s’était arrêtée la fois précédente. L’histoire de Juliette, beaucoup la connaissent : une jeune femme diplômée qui à la sortie de ses études ne trouve pas d’emploi et prend un job temporaire qui deviendra finalement permanent. Elle ne s’en plaignait pas, ce n’était pas ça, c’était plutôt qu’elle n’en était pas vraiment fière, alors elle préférait s’inventer des métiers plus impressionnants. Le soucis avec les duperies c’est qu’elle finissent toujours par devenir compliquées à gérer, comme la fois où se prétendant comptable franco-allemande elle a fini par croiser le chemin du charismatique Heinrich, jeune chef d’entreprise allemand. Dans la tête de Juliette, une filière scientifique au lycée lui semblait suffisante, et puis d’ailleurs elle avait fait ses statistiques : ils étaient astrologiquement compatibles, voilà qui avait suffit à finir de la convaincre. Ainsi, la pauvre menteuse occupait en CDD depuis 1 mois et 10 jours maintenant un post de comptable dans l’entreprise d’un charmant allemand qu’elle craignait de plumer. 

Il était 18 heures quand les demoiselles arrivèrent dans le petit village pittoresque de Vallon-Pont-d’Arc. Anissa avait choisi ce dernier pour son décor somptueux et reposant en pleine nature. Elles avaient loué pour quelques jours une maison en pierres sur Airbnb avec sa petite terrasse donnant sur les gorges d’Ardèche. L’hôte avait su séduire notre amie la plus exigeante avec ses 5 étoiles et ses bons avis.

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Anissa avait le coeur au bord des larmes, elle ne savait plus quoi faire, elle avait donné toute son énergie pour lui résister une énième fois. Ils s’étaient rencontrés sur la dernière campagne présidentielle alors qu’il était dans la presse et qu’elle gérait la communication politique de son candidat. Nicolas était séduisant et naturellement rassurant. Il maniait les mots à la perfection, sûrement ce qui l’avait conduit à devenir éditorialiste, le type d’individu qui arrive à emporter l’unanimité autour de lui. Et chaque fois c’était la même histoire, il revenait vers elle comme pour s’assurer qu’elle le reprendrait puis lui brisait à nouveau le coeur en miettes. Elle avait fini par apprendre empiriquement que quand un homme lui faisait du mal dans sa vie et qu’il revenait c’était uniquement parce qu’il n’avait pas fini son travail et cela ne présageait jamais rien de bon. Ainsi avait-elle décidé de lui échapper et de sortir de cette emprise. Depuis leur dernière entrevue il y a 28 jours et 7 heures, dans cet hôtel, elle n’avait plus cédé à ses éloges. La belle connaissait la bête et ses appâts.

Juliette déboula dans la chambre d’Anissa et s’allongea sur son lit en maillot de bain deux pièces froufroutant : “C’est pas possible j’ai oublié ma crème solaire quand j’ai fait ma valise, j’avais pourtant acheté de la bio et elle coûte un rein ! Je vais devoir l’utiliser toute l’année maintenant en crème de jour c’est sûr si je veux amortir le truc ! T’en as pas une à me prêter ?” Puis voyant la tête d’Anissa continua “Ça va Ani t’as l’air d’avoir mangé un truc pas frais ?” Ne lui laissant même pas le temps de répondre avant d’ajouter en se regardant dans le miroir “Remarque moi aussi j’ai une sale tête avec ce trajet, ça donne trop la nausée la voiture, la prochaine fois je prends le train !”

Excédée par l’entrain inapproprié de son amie dans de telles circonstances, Anissa lâcha : 

– Toi, prendre le train jusqu’ici, je vois pas comment, t’es déjà pas capable de prévoir ta valise !

– Sympa la copine ! Je venais juste te proposer de faire apéro-bronzette en terrasse mais je vois que je tombe mal apparemment, tu préfères rester une vieille mégère toute seule, bouda Juliette.

– Fais pas l’enfant Juliette j’arrive, et laisse moi des olives !”

Les filles s’installèrent toutes les 3 sur la terrasse donnant sur les gorges, la “golden hour” colorait les pierres d’une douce lumière dorée et l’écrin préservé de cette nature luxuriante suffisait à apporter un air frais à nos trois amies.  Cette parenthèse ardéchoise réussit à faire oublier toutes les tensions accumulées depuis le début de la journée : elles étaient réunies et les vacances allaient pouvoir commencer !

Chapitre 3 : Pour le meilleur et pour le pire

Juliette prit conscience du jour qui se levait à mesure que le soleil perçait ses yeux encore endoloris par les Gin-tonic consommés la veille. Elle n’avait plus 20 ans et elle sentait tous ses neurones le lui rappeler subitement. En tournant la tête, elle vit un post-it sur sa table de nuit avec l’écriture de Marion. “Partie au marché avec Ani, tu ronflais tellement qu’on t’a pas réveillée. Bois le verre d’eau et le jus vert dans le frigo”. Elle s’exécuta, consciente que les remèdes de grand-mère à défaut d’être miraculeux lui épargnerait certainement la nausée qu’elle ressentait.  

Les villageoises rentrèrent les bras bien chargés pour le peu de temps qu’elles passeraient dans le logis. L’après-midi avait été élu culturel au grand dam de Juliette, l’unanimité avait été emportée pour la visite de la grotte de Chauvet. Elle avait tenté la négoce : 

“Non mais moi je veux pas payer 17 balles pour voir des gribouillis de Pierrafeu” 

– T’as conscience que tu viens sûrement d’insulter ton aïeul ? plaisanta Anissa, Qui si ça se trouve dessine mieux que toi ! 

– Promis demain on va se baigner ! tempéra Marion.

– Si on fait ça je vous jure que j’ajoute visite de grotte à mon CV ! Dit-elle en abdiquant.

Finalement, comme bien souvent avec Juliette, elle apprécia de sortir de sa zone de confort et la visite fut des plus instructives. Elle se demanda notamment pourquoi on interdisait aux enfants de dessiner sur les murs alors même qu’il s’agissait manifestement d’un art primaire et instinctif. Ainsi, elle se promit de ne jamais brimer la créativité de sa progéniture, à considérer qu’elle en ait une un jour. Cette question de maternité n’avait jamais traversé la tête de Juliette avant, elle n’était pas trop du genre à prévoir sa vie à l’avance. A l’instar de cette tournure “trouver la personne de sa vie” qui l’agaçait. Comment diable pouvait elle savoir si un homme était celui de sa vie puisqu’elle n’avait jamais vécu “une vie” ? Ça lui sonnait faux et surfait, la personne qui marquerait sa vie, elle ne le saurait qu’à la toute fin et elle n’allait pas attendre après ça toute son existence. Elle n’était pas comme Marion qui avait, pensait-elle, sûrement déjà répondu à cette question de mariage, bébé et tout le bazar.

“Marion tu penses quoi des enfants ? demanda Juliette.

– Bah je pense que c’est de petits êtres vivants qu’il faut respecter, protéger et comprendre mais aussi de futurs adultes qu’on doit aider à faire grandir, récita académiquement Marion.

– Non mais je veux dire tu veux des mioches toi ? l’interrompit Juliette.

– ah…heu…On a déjà abordé la question quelques fois avec Marc. On est…pas prêt pour le moment mais oui j’aimerai avoir deux ou trois enfants peut être…

– Et moi tu me demandes pas ? Se vexa Anissa. 

– Toi tu as déjà prévu la couleur de leurs tenues pour leur premier jour d’école je suis sûre, se défendit Juliette avec un sarcasme non dissimulé.

– Bah pas du tout figure toi ! Je me suis toujours dis que je ne serais pas capable d’élever un enfant tu vois, tu te trompes totalement ! J’aurais trop peur de devenir ma mère ! Mais toi alors t’en veux ? 

– Peut-être, je sais pas, de toute façon la question se pose pas puisque je suis seule. Je vais pas élever un bébé seule, comme tu m’as dis tout à l’heure, je sais déjà pas faire ma valise, ajouta Juliette en mimant avec ses mains des guillemets. 

Marion coupa court à ce qui lui semblait propice à une dispute en rappelant qu’elle devait impérativement passer à la pharmacie chercher son traitement. 

Les filles entrèrent tour à tour, déconfinement oblige, dans cette petite officine où la pharmacienne avait pris soin de préparer plusieurs petits présentoirs de ses dernières nouveautés. Pastilles pour gorges irritées côtoyaient habilement les crèmes contre les mycoses plantaires.

– Bonjour, je voudrais un… test de grossesse s’il vous plait…

– Bonjour Madame, oui bien-sûr pourriez-vous m’indiquer de combien est votre retard ? Que je sache quel test sera pertinent ? Maintenant on fait des kits avec des tests de détection précoce et… 

La pharmacienne fut interrompue par notre amie gênée de devoir étaler ainsi sa vie privée.

– Donnez moi un de chaque c’est très bien. Et heu…une crème solaire aussi s’il vous plait. 

– Tout de suite je vous apporte ça…Tenez, en espérant que la nouvelle soit bonne !

Comment la nouvelle pouvait-elle être bonne ? Pourquoi la pharmacienne s’était-elle sentie obligé d’ajouter cette phrase ? Qu’est-ce que cela voulait bien dire ? Elle ne savait même pas ce qu’elle souhaitait voir apparaître dans l’immédiat ! Tout devenait flou dans sa tête à mesure que ses yeux s’embuaient. Comment en 2 minutes toute sa vie pouvait elle basculer ainsi ? C’était le pipi le plus long de son existence, celui dont elle se souviendrait pour toujours : “Je peux pas être enceinte, c’est pas possible, ça peut pas m’arriver, pas maintenant”.

Pourtant notre jolie trentenaire l’apprendrait à ses dépend, la vie est parfois bien sourde aux doléances quand elle s’est installée au creux d’un ventre.

Cela faisait 2 jours, 2 soirs et Marc ne l’avait même pas rappelée après son message. Elle avait tenté plusieurs approches, d’abord le “bonne nuit” du soir resté sans réponse, puis les sms post-visite de Chauvet et celui de la soirée au bar, là encore furent cois. Elle savait bien au fond pourquoi il ne lui répondait pas. Il n’était pas chez sa mère comme il l’avait prétendu. Elle avait conscience qu’elle fermait les yeux depuis trop longtemps sur cette situation pour que cela ne soit qu’une passade. Le souci c’est qu’elle l’aimait et pour elle cela excusait bien quelques égards, à condition que l’un d’entre eux, souvent elle, soit capable de sacrifices. Les filles résumeraient probablement ses tracas en une phrase “quel con, quitte-le”, elle pouvait déjà entendre Anissa la prononcer. Elle n’était pas prête à ça, elle ne voulait pas de leur jugement, elles, qui ne prenaient jamais de ses nouvelles ! Que savaient-elles de son couple ou de sa vie ? Rien, qui ne soit pas écrit sur sa biographie Facebook : enseignante, mariée, qui aime la page “Céline Dion” et “le mouvement Colibris” ! Dés lors, elle se garderait bien de leur faire part de ses tourments se dit-elle en descendant à la cuisine. 

Anissa était en train de pester contre Juliette qui avait laissé trainer un paquet de craquottes sans gluten. Elle pliait le paquet comme un origami, en rentrant la languette à l’intérieur de sorte que la boîte était désormais pyramidale. Marion se fit la réflexion que dans une vie parallèle, à défaut de travailler dans la communication politique, Anissa était probablement devenue notre Marie Kondo française. 

“Bonjour Ani, tu as bien dormi ? demanda Marion d’une petite voix matinale, encore enrouée de sommeil. 

– Moyen, j’ai le sommeil agité en ce moment et toi ?

– Moyen aussi, je crois que les soirées au bar ça nous réussit pas, plaisanta-t-elle. C’est le travail qui te préoccupe ?

– Morniiiing ! Asséna Juliette d’une forme Olympique, prête pour la baignade ? Pas de loup cette fois, on va à la plage, que j’ai l’air au moins un peu bronzée en rentrant de vacances ! 

– Ah d’ailleurs, au fait Juliette, je t’ai pris une crème solaire hier à la pharmacie.

– Ohhh merci Ani t’es trop un amour, tu sais que je t’aime, je t’aime, je t’aime ! Juliette lui sauta au cou pour lui faire des bisous partout. 

Les larmes montèrent aux yeux de notre jolie méditerranéenne, elle tenta en vain de les réprimer ce qui ne fit qu’accélérer leur déluge sur ses joues. 

– Oh mais qu’est ce qui t’arrive ? Qu’est ce que j’ai dit ? Qu’est ce que j’ai fait ? demanda Juliette.

– C’est rien… c’est juste…que j’en peux plus les filles. Vraiment je suis à bout, je suis si fatiguée de tout ça. Répondit Ani entre deux sanglots. 

– C’est quoi c’est ton travail ? Qu’est qu’il y a Ani ? Tu peux tout nous dire tu sais ! ajouta Marion inquiète en s’approchant pour tenir la main de son amie.

– C’est un burn-out ? J’ai vu un documentaire sur Netflix dessus et franchement dans le web c’est hyper fréquent, t’as pas à avoir honte ! Ajouta Juliette.

– Non, c’est pas le boulot c’est pas ça. Ça c’est la seule chose que je réussie dans ma vie, je foire tout le reste. Comment c’est possible hein d’être une ratée pareille…

Marion et Juliette se regardèrent interloquées, dans leur tête respective, Anissa était de loin la moins ratée de la pièce. 

– Ani t’es pas du tout une ratée voyons, dis pas des bêtises pareilles. Qu’est ce qui se passe ? demanda doucement Marion.

– Il se passe que je suis amoureuse de Nicolas. Genre vraiment complètement mordue de ce type. 

– Attends Nicolas ça me dit quelque chose, tu l’avais rencontré sur la campagne y’a deux ans non ? Le mec barbant mais canon ? l’interrogea Juliette.

– Non il est pas barbant il est éditorialiste, mais oui c’est ça, c’est lui Nicolas. Renifla Anissa.

– Et alors il t’a fait quoi cet abrutis pour que tu pleures comme ça pour lui ? 

– Il veut qu’on se voit mardi. 

– Mais c’est une super nouvelle, il est où le problème, désolée Ani mais là je perds un peu le fil ?

– Il est marié.

Cette confidence fut suivie d’un silence collégial.

– C’est bon épargnez moi vos jugements c’est suffisamment difficile ! 

– Non, non t’inquiète pas Ani on te juge pas, tu fais ce que tu veux, la rassura Juliette.

Marion se mordillait la lèvre comme pour retenir sa bouche de s’ouvrir. En l’espace de quinze secondes, la rancune prit le pas sur sa bienveillance et elle lâcha son sermon : 

– Bah non moi je suis pas d’accord, j’ai pas envie de t’épargner mon jugement. C’est trop facile Anissa, tu pleurniches de bon matin parce que tu as une liaison avec un homme marié, tu le savais bien quand tu l’as rencontré non qu’il était engagé ? Et t’y es allée quand même ? Tu te rends compte juste, ce que tu fais subir à sa femme ? Tu te rends compte la souffrance que c’est de vivre ça ? 

– Oui je sais tout ça, qu’est ce que tu veux que j’te dise ? Que je regrette ? Oui je regrette ! Tu vois pas comme je me sens hyper mal ! 

– T’es horrible Marion de lui dire ça ! Protesta Juliette en prenant la défense de son amie, Non tu as pas à regretter Ani c’est pas toi qui est en tort c’est lui, c’est lui qui est marié et qui fait de la merde, toi tu as rien à te reprocher tu es libre ! 

– Je suis désolée mais moi je trouve qu’ils sont tous les deux adultes. Elle a aussi sa part de responsabilité, t’as séduit un homme qui était déjà pris, tu t’attendais à quoi enfin ? Tu voulais qu’il quitte sa femme peut-être ? 

À mesure que Marion s’emportait, la colère mélangeait tout dans sa tête Marc, Nicolas, leur maison, Anissa, Juliette, elle était engluée dans ses ressentiments à l’égard de son époux. Hors n’oublions jamais, nos amies vont l’apprendre à leurs dépens, que le ressenti ment.

Chapitre 4 : 10950 jours et 38 minutes

C’était la crise. Marion conduisait la voiture vers le Pont d’Arc, l’après-midi promettait d’être glaciale après les révélations survenues quelques heures plus tôt. Juliette n’avait aucune idée de comment elle allait régler la situation pourtant il le fallait, elle fêtait ses 30 ans aujourd’hui et refusait d’obtenir pour seul présent la brouillade de ses deux meilleures amies. 

“Dis donc qu’est ce qu’on a beau temps aujourd’hui ! ça valait le coup de faire musée hier et plage aujourd’hui. Quelle belle journée…” tenta Juliette.

– Ouais 

– Mmmh

– Et puis heureusement que j’ai ma super crème grâce à toi Ani et qu’on a les super sandwich prévus par Marion, on va passer un bon moment tranquille détente à la plage, ça va être vraiment sympa, vous avez pris un livre pour les vacances ? Moi j’ai emmené le dernier Grimaldi et le Musso mais je sais pas lequel je vais commencer. Vous voulez que je vous lise les synopsis ? Remarque vous les avez peut-être déjà lu, ne me dites rien surtout, je ne veux pas être spoilée ! 

– …

– Bon à part ça moi j’ai faim mais genre de frites à la mayonnaise. Ça vous fait ça aussi quand vous avez faim mais que d’un truc précis ? C’est vraiment relou c’est sûrement parce que je suis en ovulation, mes follicules c’est des goinfres, je le sens dans mon bidon à chaque fois c’est la même chose et après quand j’ai mes règles, c’est + 3kg sur la balance !

– Toute façon Juju tu as de la marge avec ton petit 36 ! répondit Marion.

Juliette non contente d’avoir réussi à faire ouvrir le caquet à une des deux grognonnes, poursuivit sur sa lancée : 

– C’est gentil Ponpon, tu sais je me disais qu’on devrait faire du sport toutes les trois, ça nous permettrait de nous voir plus souvent sur Paris.

– C’est une bonne idée, ajouta Marion, ça me ferait du bien d’avoir de la motivation pour m’y remettre.

– Si vous voulez… Je peux caler un jogging, le dimanche matin à 8 ou 9 heures intervint Anissa.

– Ah… heu j’avais plutôt pensé à un truc un peu plus fun…Genre du pôle dance ! Mais bon jogging c’est bien aussi.


Les filles sortirent de la voiture avec tout l’armada nécessaire et il faut bien l’avouer, il aurait été difficile de faire mieux comme coin de baignade que les gorges de l’Ardèche. En effet, dès la sortie du parking, elles se retrouvèrent en plein cœur de ce canyon français, dans une réserve naturelle protégée. Elles étaient entourées de falaises calcaires, hautes de plus de deux cents mètres et au milieu d’une végétation qui sentait bon la garrigue. Le clou du spectacle étant cette arche naturelle percée dans la roche par le passage d’une rivière d’un bleu azur. Les filles furent saisies d’émotion en découvrant la magnificence de ce lieu. 

“Et bah vous savez quoi chuis contente d’être là !” déclara Juliette.

Les filles avaient loué un canoë pour traverser l’arc, dernière lubie de Juliette, qui ne manquait pas une occasion pour faire son excentrique depuis le début de la journée. Marion avait prétexté être à un moment palpitant de son roman pour décliner l’invitation. Elle était dans la foule de vacanciers étendus sur des paillasses, seule, comme à son habitude : abandonnée à voir sans être vue. 

Soudain, poussée par la colère de la matinée qui la rongeait encore, elle prit son téléphone pour appeler son mari. Bien-sûr comme à l’accoutumée, elle tomba sur sa boîte vocal, elle éclaircit sa gorge nouée pour feindre une assurance qu’elle n’avait pas, puis argua : 

“Allo, Marc, écoute je sais ce qui se passe, je ne suis pas l’ombre d’une sotte quand même ! Tu crois sincèrement que j’ai gobé que tu étais chez ta mère ? Tu n’y vas jamais que pour les évènements importants depuis qu’on est marié et là depuis 6 mois c’est quasiment hebdomadaire ! Je sais que tu as…hum fait une rencontre…mais je…ça dure depuis trop longtemps. Je ne peux plus fermer les yeux là dessus tu comprends…il faut qu’on en parle, qu’on trouve une solution tous les deux ensemble. Je suis sûre qu’on peut tout arranger, on s’est marié pour le meilleur et pour le pire Marc, tu te souviens de ça ?! Moi je suis prête à affronter ce pire maintenant. Mon coeur, je… je peux te pardonner, ça n’allait pas fort entre nous ces derniers temps…Mais s’il te plaît rappelle moi ! Il faut qu’on discute j’en ai besoin, tu me dois bien ça” Elle fit une pause de quelques secondes avant d’ajouter “Je t’aime toujours…”. 

Elle se sentait bien misérable de l’implorer comme une mégère mais qu’aurait-elle pu faire d’autre, sinon ça, pour sauver ses souvenirs et son amour que de s’assoir sur sa fierté. Elle n’était certainement pas la première femme, elle savait que ce n’était pas très moderne et pas très “balance ton porc” non plus, mais elle lui pardonnerait. Elle avait conscience que le problème était bien plus globale qu’une simple infidélité, ils n’osaient tous d’eux se dire qu’il l’avait trompée parce qu’ils s’étaient avant tout trompés eux-même.

“Franchement Marion a été horrible avec moi ce matin. Je comprends pas comment elle peut être si méchante ! C’était déjà si dure pour moi d’en parler” jasa Anissa tout en pagayant.

– Tu sais je pense qu’elle a pris le truc à coeur parce qu’elle est mariée et qu’elle s’est vachement projetée, la défendit Juliette.

– Je m’en fiche de ça, moi je l’ai jamais jugée et là j’étais vraiment pas bien et elle en a rajouté une couche ! C’est pas ce que j’appelle une amie ça ! 

– Et si on parlait de Nicolas plutôt c’est lui qui pose soucis, acheva Juliette. Ponpon elle a juste craqué son slip ce matin, elle s’excusera sûrement plus tard, tu sais comme elle prend toujours tout à coeur. Mais ce qui compte c’est de savoir qu’est-ce que tu vas faire avec ton journaliste marié ?! 

– Editorialiste. Oui peut-être…T’as raison, bah justement je ne sais pas… Je suis complètement perdue, je lui ai dis plusieurs fois qu’il fallait qu’on arrête de se voir. Là ça fait 1 mois qu’on s’est pas revu et il m’envoie des sms. Attends regarde…

Anissa tendit son portable à Juliette qui lu les échanges de textos.

– Ah oui je vois, c’est un peu fuis moi je te suis cette histoire.

– Oui c’est exactement ça ! s’exclama Anissa contente de sentir la compréhension de son amie.

– Tu dois vraiment lui poser un non ferme, parce que toi ça te fait souffrir quand même, ça se voit dans vos messages, lui conseilla doucement Juliette. Je veux dire, tu pourrais en avoir rien à faire après tout, qu’il ait une femme, tu aurais le droit aussi hein. Mais là c’est pas le cas tu es vraiment dans l’attente, alors qu’il a pas l’air de tenir à toi tant que ça…

– C’est compliqué…On a eu une relation assez fusionnelle, c’était d’une intensité rare, j’ai jamais connu ça avant, il me déstabilise complètement, j’arrive pas à lui résister. C’est totalement irrationnel ce que je dis, des fois j’ai l’impression de devenir folle, il me laisse dans des états pas possible. Mais la vérité c’est que quand je le vois je perds tout le contrôle ! se justifia-t-elle. Après j’ai bien compris qu’il ne quitterait jamais sa femme, tu sais ça fait des mois qu’il “arrange” le truc… Je suis lucide : je suis juste devenue la maîtresse d’un homme marié qui passe du bon temps… Mais bon… Maintenant tout a changé…Faut vraiment que je fasse du tri dans ma vie que je sache où je veux aller c’est primordial. Tu vois, Juju, Je suis à un carrefour et faut absolument que je fasse le “bon choix” et je sais pas comment m’y prendre…C’est couru d’avance comme si j’avais le choix qu’entre des chemins qui vont me faire souffrir…J’ai comme l’impression qu’on me déchire mon âme en deux lentement. Et je suis fatiguée de toute cette culpabilité, de toutes ces larmes, de tout ça… 

C’était la première fois, que Juliette entendait Anissa à ce point désemparée et vulnérable. Elle comprit alors qu’elle devrait, pour une fois, endosser un rôle maternel avec son amie, la rassurer, la guider. Bienheureusement, Juliette avait cette qualité indéniable : une sororité inaliénable.

– Tu sais ce que je fais moi quand je suis face à un problème comme ça pour savoir ce que je veux vraiment ? Bah je trouve mon “SI” : acronyme de “solution idéale”, expliqua Juliette. Genre : Si tu pouvais tout avoir dans le meilleur des mondes ce serait quoi ton S.I ? 

– Bah dans un monde idéal, je ne veux pas être la femme de l’ombre, je l’ai jamais voulu, j’ai honte tu sais… Et aussi, je veux compter pour quelqu’un vraiment en entier, pas à mi-temps, pour tout ce que je suis. Je veux quelqu’un qui me connaisse et me soutienne. Avec lui c’est comme si c’était de l’amour sous condition et je veux plus vivre ça. L’amour le vrai je crois pas que ça marche comme ça. Mais bon j’ai beau me répéter tout ça, je l’aime malgré moi…

– Je suis d’accord avec toi, je sais que c’est bateau mais tu mérites mieux ma poulette. Je crois pas vraiment que tu l’aimes, je crois que tu l’admires et aussi que t’es droguée à la passion. Et la passion, c’est comme une cuite, au début t’es alcoolisée, c’est intense mais t’es bien, le lendemain t’as mal et puis après ça passe… Mais ça va aller Ani, je serais là avec toi… 

Anissa se remit à sangloter en entendant tout haut ce qu’elle craignait tant de s’avouer tout bas. 

– Écoute, on a qu’à passer un deal : à partir de maintenant quand tu reçois un sms de lui c’est moi qui répond, tu auras plus tout ça toute seule sur les épaules, termina Juliette en la serrant dans ses bras.

De retour sur la plage, les filles s’allongèrent sur des paillasses inconfortables renforcées de leur serviette de bain. Marion sortit d’une petite glacière trois pains pita habilement fourrés de falafels et crudités, espérant secrètement que ce repas libanais signerait l’armistice des hostilités. Les trois compères passèrent ainsi l’après-midi assez silencieuses. En apparence, on pouvait voir trois jeunes femmes bouquiner, bronzer et nager. Mais en réalité, le silence cache bien le maux quand le mot est trop dur à dire. C’était un nuage d’émotions : entre la peur, la honte et le chagrin. Elles étaient là étendues face à leur vie à méditer sur leurs tourments. Il serait malvenu de les juger : qui veut entendre qu’il y a pire dans le monde quand il est en proie au pire qu’il se sent capable de vivre à cet instant ?

Chapitre 5 : Sur le pont

Àl’arrivée au Airbnb, un ballet se mit en place dans la salle de bain qui accueille tour à tour ces demoiselles venues se décharger du sel et du sable. Elles découvrirent alors face au miroir peu clément, leurs nouveaux bronzages de vacancières : “ Voilà je sais maintenant pourquoi je ne portais plus de sandales méduse, ça m’apprendra à être nostalgique des années 90 tiens ! Purée mais quelle mauvaise idée j’ai eu ! Comme c’est pratique tu les enlèves jamais, tu vas avec dans l’eau sur les cailloux et tout et après bim tu as les pieds zébrés ! Se plaignit Juliette à Marion”. “Bah moi je te bats avec ma culotte taille haute, regarde j’ai que la moitié du ventre bronzé et j’ai l’impression que mon visage a gonflé, je fais une réaction au soleil ma parole ! plaida Marion”. Tandis qu’Anissa toujours aussi prévoyante était en train de dégainer du frigo le gel d’Aloé Vera. Ainsi, après un dîner frugal, nos copines se retrouvèrent donc le corps enduit et luisant comme des vers sur les chaises longues de la terrasse à observer les étoiles. 

– Ahhhh je viens de voir une étoile filante ! s’exclama Juliette.

– Tu as fait un voeux ? lui demanda Anissa.

– Dis rien si tu veux que ça se réalise, interrompit Marion.

– Si je crois que je vais vous le dire… Parce que ya peu de chance que ça se réalise maintenant…

– Quoi que ce soit ya toujours une chance dans la vie que les rêves se réalisent ! Walt Disney disait “if you can dream it, you can do it” la reboosta Anissa comme elle le ferait à l’aube d’un dépouillement de scrutin. 

– Elle est cool celle là, ajouta Marion, ya celle de Saint Exupéry que j’aime bien aussi : “faites que le rêve dévore votre vie, afin que la vie ne dévore pas votre rêve”.

– Les filles, j’ai juste fait le souhait qu’on reste amies et qu’on ne s’oublie pas.

– Mais voyons Juju on ne t’oublie jamais, t’es notre rayon de soleil on peut pas oublier le soleil !  

– Et puis t’es bien trop bruyante pour qu’on t’oublie ! plaisanta Anissa.

– J’ai juste l’impression qu’avec le temps on est moins proche c’est tout…

– Tu dis ça à cause de notre embrouille de ce matin ? Mais c’est oublié avec Pompon on est plus disputé. C’est juste normal ça faisait longtemps qu’on s’était pas vu, c’est le temps que chacune prenne ses marques…Et puis moi j’ai pas mis une super ambiance au petit déj avec mes pleurnicheries ! 

– Non je me faisais juste cette réflexion… Sûrement aussi parce que c’était mes 30 ans aujourd’hui. Mais je vous en veux pas d’avoir oublié hein. C’était quand même une journée cool d’être avec vous. 

Les filles se regardent abasourdies par cette information qu’elles avaient complètement éclipsée de leur mémoire.

– Juliette, on est désolé. Bien-sûr qu’on va trinquer et on te préparera une vraie fête dès le retour sur Paris avec tout le monde, pas vrai Ani ?! 

– Bien-sûr et là je vais nous préparer des supers cocktails !

– Chouuuuuette et pour ma fête je veux une pinata, j’ai toujours rêvé de faire ça !

À faire... (5)

00h13, dans sa chambre

“Bonjour Marion, je viens d’avoir ton appel. Écoute, je suis en séminaire à Montpellier à partir de demain. Je te propose qu’on se retrouve pour parler de tout ça au calme. On coupe la poire en deux, Avignon c’est entre nos deux villes, 10h30 au café Tulipe c’est bon pour toi ? ”

Elle ne voulait pas avoir l’air trop facile à convaincre. Aussi répondit-elle :  Disons plutôt 11 heures alors. C’est noté j’y serais”

Rien que la lecture du prénom “Marc” sur son téléphone suffit à lui donner la nausée. Elle savait que trop bien combien cette discussion allait être pesante pour elle. Peut-être allait-il se confondre en excuse, lui avouer qu’il l’avait trompée mais que c’était sans importance ? Peut-être nierait-il tout en bloc ? Ou bien au contraire serait-il totalement transparent sur toute cette histoire, cette nouvelle femme, leurs entrevues, leur liaison ? Il lui donnerait tous les détails. La nausée augmenta à mesure qu’elle ne pouvait réprimer son dégoût devant une telle scène. Son cerveau ne lui épargnait aucun détail des différents scénarios catastrophes. Comme souvent, le mental est un chacal, sournois et opportuniste, qui essaye en vain de jouer le devin, ainsi sa nuit allait-elle être bien agitée.

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10h45, café tulipe à Avignon

Marion était arrivée au café depuis une dizaine de minutes. Le lieu était cosy et chaleureux, presque même romantique, passé le contexte singulier qui la conduisait ici. Pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, elle tenait à arriver avant lui, après tout il avait choisi le lieu de rendez vous, elle, maîtriserait le territoire. 

Son époux n’arriva qu’à 11 heures un quart. La serveuse souriante leur apporta un café noir sans sucre et un café latte au lait de soja. Elle nota que le barista avait pris soin de former un coeur avec la mousse de lait, et espéra qu’il s’agisse d’un bon présage, le genre qui se lit dans le marc de café. Son mari commença assez vite à prendre la parole, comme pour réciter une plaidoirie qu’il avait soigneusement préparé depuis des semaines. Marion ne broncha pas, muette, elle l’écouta, préparée à ses effets de manche.

“ J’espère que tu vas bien ? Tu as bonne mine en tout cas… Je suis content pour toi que tu ais pris l’initiative de ces vacances avec tes amies…” débuta-t-il.

– Bon, nous n’allons pas tourner autour du pot. C’est déjà assez tendu comme ça. Marion je veux que tu saches que jamais je n’ai souhaité ton malheur.

Cela débutait exactement comme elle le craignait, par une excuse, certainement que cette dernière serait écourtée par un “mais”. Elle avait lu quelque part, que lorsque quelqu’un faisait un compliment puis objectait avec un “mais” cela signifiait que le compliment n’avait pas une grande valeur et qu’il s’agissait surtout de marquer l’opposition à l’autre. Elle attendait donc le “mais” convaincue que tout ce qui précédait ne servirait qu’à illustrer le propos. 

– Quand j’ai eu ton appel et que tu m’as dis que je te devais une explication. Tu avais raison, mais je ne pensais pas que tu me forcerais à m’expliquer maintenant. Mais tu as eu raison, il fallait qu’on écourte ce silence.

Bingo, voilà il est tombé le “mais”.

– Je vais être très honnête avec toi. C’était bien avant quand on était plus jeune. Mais aujourd’hui ça va pas nous deux… Plus le temps passe et plus c’est fade. Tu es tellement gentille, tu es douce, tu es parfaite mais Marion ça me fatigue de vivre avec quelqu’un d’aussi lisse. Tout ça m’ennuie. Tu m’as dis que tu me pardonnais ? Mais de quoi au juste ? D’avoir voulu vivre et pas de m’enterrer dans une vie sans saveurs ? Tu vois, je me rends compte que t’es pas la femme que je veux, j’ai besoin d’une femme passionnée, une femme qui tente, qui rayonne. Avec toi je me sens vidé. Rien que te regarder, ça m’épuise. Et puis tu sais, je ne suis pas le mari qu’il te faut non plus, je le vois bien que je n’ai rien à t’apporter aujourd’hui. On a pas les mêmes envies. Tu organises des dîners de banlieusard avec tes amis prof alors que je prévoie des vernissages. On vit même plus dans les mêmes mondes Marion…Et au nom de tous nos souvenirs, je crois qu’il est temps de se rendre à l’évidence, il faut en finir avec le naufrage qu’est notre mariage. Marion, j’ai contacté un avocat la semaine dernière, je demande le divorce. Ne t’inquiète pas je vais pas t’embêter tu pourras vivre dans la maison le temps que tout ça se règle…

“divorce” “que tout ça se règle” Marion encore sonnée par ces mots se réveilla : « Tu crois que je veux me battre pour un frigo Marc ? Tu crois que j’ai pas envie moi aussi de rayonner ? La vérité c’est que c’est toi qui m’a éteinte comme exactement tout ce que tu touches. Tu n’as jamais eu la main verte Marc, maintenant je comprends pourquoi, pour ça il faut avoir un peu d’empathie, un peu d’attention pour les autres. Moi je t’ai aidé à grandir et t’épanouir dans notre vie quand toi tu n’as cessé de me réduire. Si aujourd’hui je ne suis qu’une ombre c’est parce que je ne vis plus à tes côtés je me contente seulement d’exister. Alors oui je suis peut être ennuyante mais toi tu es une pourriture.

– Ne le prends pas comme ça. Ça sert à rien de jouer les grandes gueules quand tout est terminé. Fallait te réveiller avant Marion si tu voulais me séduire.

– Te séduire ? Je crois que c’est justement ça Marc, j’ai trop cherché à te séduire toi et c’est moi que j’ai oublié de séduire.

– Écoute Marion, on va pas faire une scène en public, je te l’ai dis, je ne veux pas te faire souffrir. Je pense qu’on est d’accord, on va régler ça comme des adultes. La solution est déjà là depuis longtemps on va pas perdre du temps inutile. 

Marc posa un billet de cinq euros sur la table et commença a enfiler sa veste pour signifier son départ imminent. 

– Marc, est-ce que tu m’aimes ? Est ce que tu m’as au moins aimé un jour ?

– Marion on vit pas dans un Disney. L’amour ça sauve pas tout. 

– Répond à ma question… s’il te plait.

– Qu’est ce que ça change ? 

– Ça change tout ! 

– Oui je t’ai aimé… Et aujourd’hui disons que c’est des restes d’affection.

Sur ces paroles, il fit un geste de la tête à la serveuse, puis à Marion avant de quitter ce petit café de la rue des trois faucons. Marion resta là muette, figée dans le temps, si elle n’osait bouger c’était par peur de rendre les événements réels. Elle fixait cette porte qui s’était refermée sur ses souvenirs et ses certitudes.

Chapitre 6 : Frigo et bouchons

Le café commençait à se remplir de clients affamés, pressés par une vie effrénée, certains sur la pause déjeuner n’avaient pas de temps pour la courtoisie à son égard. Sophie avait l’habitude, elle ne prenait pas personnellement ces comportements. Son sas de décompression elle le trouvait auprès de plusieurs habitués qui la traitaient comme une reine. Il y avait Monsieur George qui passait prendre son café tous les matins après avoir acheté son journal et aussi Titi, un peu bruyant, elle l’avait mal jugé au début, mais passé le folklore elle s’était laissée attendrir par ce gros monsieur avec ses théories politiques inénarrables. 

Ce mercredi matin, Sophie était particulièrement de bonne humeur : sa candidature à la Faculté pour sa reprise d’études avait été acceptée, elle et sa fille allaient pouvoir déménager bientôt pour Montpellier et commencer cette nouvelle vie dont elles avaient tant rêvée. Tout semblait désormais les ravir depuis qu’elle avait décidé de sourire à la vie. Elle qui avait pris le risque de se donner une chance d’être heureuse en coupant les chaînes de ce passé douloureux, en ne s’oubliant plus derrière autrui elle avait appris à penser à elle, désormais elle comptait, elle ne se contentait plus d’exister. Le temps silencieux et bienveillant avait assisté à sa transformation, elle n’était pas mère mais elle l’était devenue pour sa fille. 

À la fin du service de midi, elle remarqua cette femme statique à sa table depuis plusieurs heures. Elle avait la peau albâtre et les cheveux sombres, le regard vide et froid tel qu’on eut dit une statue de marbre. Son seul mouvement semblait être un tic, elle tirait inlassablement sur les manches de ce chemisier qui pourtant lui allait parfaitement. Intriguée par cette étrangère, elle se rapprocha de sa table : 

“Bonjour Madame, je peux vous apporter quelque chose à manger ou bien un verre d’eau avec cette chaleur ?”

– Je dérange…je m’excuse je…

– Non absolument pas, soyez tranquille, prenez votre temps… 

Sophie qui cherchait une mouche, remarqua qu’il s’agissait en réalité du téléphone posé sur la table qui bourdonnait par ses vibrations incessantes. 

– Juste dites moi, Madame, ça va aller ? 

– ah… heu…je sais pas… il faudra bien…je crois…

– Vous savez je suis qu’une serveuse et je ne veux pas être intrusive, mais si vous voulez me raconter ce qui vous tracasse, je peux vous écouter

– Rien, il semblerait seulement que je doive déménager…

Cet échange sorta légèrement Marion de sa torpeur, assez pour qu’elle prenne son téléphone, qui indiquait à l’aide de petites gommettes rouges l’urgence de la situation, et le tende en direction de Sophie. 

– Pouvez-vous les joindre s’il vous-plaît ? ajouta Marion, une larme frémissante au coeur de ses paupières.

– Bien-sûr ne vous en faites pas je m’en occupe, ça va aller. Comment vous appelez vous Madame ? 

– Madame…Marion, juste Marion. 

– Je m’en charge Marion, ne vous en faites pas. 

Les 21 appels manqués, 3 messages sur la boîte vocale et la dizaine de sms laissaient présager les personnes à contacter. Ainsi, la voix crispée de Juliette raisonna « Marion tu es où on arrive pas à te joindre ? On est super inquiète avec Ani. Rappelle nous ! ».

Sophie passa instinctivement derrière le comptoir pour s’isoler et préserver ainsi l’intimité de sa cliente tout en cliquant sur “rappeler” :

– Putain mais Marion t’es où Bordel ?! entama une voix au téléphone.

– Bonjour, je suis Sophie je…

– Ah Marion a perdu son portable c’est ça ?

– Non pas tout à fait, je…

– Vous êtes qui ? Vous êtes avec elle là ? On a besoin de lui parler elle va bien ? Vous êtes pas de la police ? Je vous assure que Marion a rien fait je suis son alibi elle était avec moi ! Heu vous êtes où déjà ? 

– Bonjour non ne vous inquiétez pas, non je ne suis pas de la police, Marion n’a pas perdu son portable.

– Oh non vous êtes une docteur de l’hôpital comme dans Grey’s Anatomy vous êtes calme parce que vous allez m’annoncer qu’il y a eu un crash d’avion et que Marion a perdu une jambe et beaucoup de sang, je suis 0+ c’est donneur universel si il faut !

 

D’un coup la conversation fut coupée et quelqu’un d’autre prit le combiné.

– Bonjour, je m’appelle Anissa dans quel hôpital est Marion ? Nous sommes…de la famille nous souhaitons lui rendre visite de suite.

– Bonjour, non vous vous méprenez elle n’est pas à l’hôpital, tout va bien, elle est seulement à Avignon. Je suis la serveuse du café Tulipe, rue des trois faucons et votre amie semble assez peinée, je pense que vous devriez venir la chercher.

– Oh mon dieu je suis rassurée, oui bien-sûr nous arrivons. 

Avant de continuer en éloignant le téléphone de sorte que la conversation se fit plus sourde : “Franchement Juliette t’es bête ou quoi tu m’as fait peur elle est pas du tout à l’hôpital ! Elle est à Avignon !”, “Hein là où ya le Pont ? Mais qu’est ce qu’elle fout à Avignon ?!!”.

– Excusez-moi Madame, depuis quand Marion est-elle dans votre café ?

– Depuis je dirais 10h et des brouettes.

– Et elle a rien fait de spécial ? 

– Heu…non je ne crois pas, elle a juste rencontré un homme et depuis elle semble paralysée.

– Très bien nous arrivons. Nous serons là d’ici deux heures.

Elles se réveillèrent comme à leur habitude, prirent leur petit déjeuner et s’installèrent sur la terrasse. Vers 11h, alertée par l’heure tardive du réveil de Marion, elles se rendirent dans sa chambre, découvrant alors le lit fait et l’absence de valise. Elles se mirent alors à chercher un mot dans la maison. Rien. Cette disparition se fit de plus en plus inquiétante pour ces deux copines que la veille rien ne présageait au départ de leur amie. Ainsi elles tentèrent de joindre inlassablement Marion en vain pendant plusieurs heures. Anissa essayait de raisonner Juliette en proie aux scénarios apocalyptiques quand l’appel de la serveuse survint. En trentes minutes, Anissa avait élaboré le plan de secours, après avoir négocié la location de la voiture du voisin, elles se mirent immédiatement en route vers Avignon. 

– Tu penses que Marion a rejoint son amant mais qu’elle a pas osé nous le dire ? demanda Juliette.

– Non, je ne pense pas.

– Et tu penses que c’était son frère jumeau qu’elle a retrouvé sur Facebook ? 

– Non, Juliette, Marion n’a pas de jumeau maléfique avec un dédoublement de personnalité, je te l’ai expliqué tout à l’heure. Je pense qu’elle a vu un ami ou alors c’est…

– Quoi ? Arrête de juger mes idées ! Tu as une meilleure théorie peut-être.

– Oui, je crois…Ce qui me semble le plus logique : Marion a dû retrouver Marc ! 

– Pfff bah oui sur le Pont, c’est vrai que c’est romantique et tu m’expliques pourquoi elle s’est retrouvée momifiée par “Monsieur Parfait”! 

– Parce que je crois que leur couple n’est peut être pas aussi rose. Après tout qu’est-ce qu’on en saurait ? Je te rappelle qu’on lui a rien demandé !

– Ah… oui.. peut être. 

Juliette sorti un malabar bubble gum de son sac, essayant bulle après bulle de corréler cette version, en se remémorant les souvenirs qu’elle avait de ces deux tourtereaux.

Sans titre

Lorsque Sophie vit entrer deux jeunes femmes : une grande blonde légèrement farfelue et une brune dont le métissage secret créait une beauté sans égale, elle n’eut aucun doute sur les motivations de leur présence. Elle se dirigea donc vers l’entrée pour se présenter et indiquer la table où se murait Marion. Dès lors, les soeurs de coeur et notre alter-égo prodigueraient les premiers soins à ce petit coeur blessé.

– Marion, tout va bien, vos amies sont arrivées. 

– Et si il revient, il faudra bien que je sois là, murmura Marion.

– Pompon qu’est ce qui se passe ?

– Tout est fini. Je suis perdue.

– C’est fini avec qui ? Marc ? 

– Oui. Marc divorce, il me laisse le frigo.

– Quel putain de connard ! Asséna Juliette.

– Mesdames, je vous apporte un peu d’eau… s’éclipsa Sophie. 

– Commence du tout début, qu’est ce qui s’est passé…

Marion confessa alors les appels en douce, les messages, la maîtresse, son pardon et l’annonce du divorce indéniable. Les filles l’écoutaient, pendant un long moment, raconter ses souvenirs et son chagrin, comme souvent la peine se vide à mesure qu’elle est partagée.

– Quand je rentre chez moi, j’ai l’impression d’ouvrir une maison témoin. Je suis une figurante dans ma vie, pas transparente juste un peu flou, je me demande ce que je fous là, et puis je tombe sur un détail une photo encadrée ou notre premier meuble de notre premier appartement à Paris, alors je me dis que ça pourrait-être pire… 

– Vraiment ? Pire comment Ponpon ? 

– Je sais pas…me sentir seule…

– Franchement t’es sûre que c’est vraiment pire que ce que tu ressens aujourd’hui ?

– En vrai t’es déjà seule dans cette maison ma biche, t’es loin de nous et cet enfoiré de Marc il est pas là lui, ajouta Anissa.

– Mais c’est si dur les filles je vous assure, je sais même plus ce que c’est que de vivre “sans” quelqu’un. Je sais pas comment je vais faire pour trouver mes repères dans une vie avec que des “sans”. “sans” bonjour, “sans” accompagnement, “sans” “sans” “sans”.

– Tu ne seras pas sans rien, jamais. On sera là Ponpon tous les jours, on te le promet et maintenant plus de secret ! Et puis j’ai une super idée : si on faisait la colocation dont on avait parlé y’a 10 ans et qu’on a jamais faite ? Proposa Juliette avec l’entrain qui la caractérise.

– Heu les filles… Je ne sais pas, c’est pas que je ne veux pas, mais je ne suis pas sûre de pouvoir m’engager là dedans avec vous… prévint Anissa.

– Mais t’inquiète on prendra un truc grand et je te promets de ranger toujours tout comme tu le noteras dans le règlement intérieur, la charia Juliette.

– Effectivement c’est pas une mauvaise idée… Même si je sais pas quand ça sera réglé avec Marc, je vais pas pouvoir retourner vivre dans cette grande maison. 

– Voilà Ani, alors tu vois, même Marion dit que ça lui ferait du bien !

– C’est pas ça, je vous aime et vivre avec vous je suis sûre que ce serait de merveilleux moments, j’en doute pas une seconde. 

Anissa inspira un grand bol d’air avant de poursuivre : 

– Vous savez quand je me suis mise à pleurer hier, c’était pas uniquement parce que j’étais en croc de Nicolas, je suis aussi enceinte de lui. Et avant que tu dises quoi que ce soit Juliette, oui j’en suis sûre, j’ai fais deux tests et non je ne sais foutre de rien de ce que je vais faire…

– Oh la merde… C’est quoi ce Karma qu’on a en ce moment ?! Bon, si ça peut vous rassurer moi aussi je suis dans le pétrin, je suis une usurpation d’identité, j’ai fais croire que j’étais comptable internationale et je crois que je suis un peu coincée dans un bourbier, bon pas comme vous hein mais avec un allemand et une équipe juridique qui me regarde toujours de travers. 

Elles restèrent là silencieuses quelques secondes puis Juliette lacha : Bon l’avantage c’est qu’on est actuellement au fond du trou, donc on peut que remonter comme des bouchons… »

Chapitre 7 : Un coup de soleil

Les vacances de nos trois compères touchaient à leur fin. Elles finissaient de boucler leurs valises, qui par une illusion universelle peinaient à se refermer comme si leurs vêtements avaient doublé de volume. Elles prirent la route vers Paris pour rejoindre leur cocon respectif avant de, semble t-il, créer un nid commun. Après les lourdes révélations de la veille, elles auraient bien besoin de ce nouvel envol. La vérité étant plus claire que le soleil, lorsqu’elle se révèle, elle permet de sortir de bien des ombres. Désormais, nos trois colombes aspiraient à une vie plus paisible et elles avaient appris empiriquement que leur amitié avait les épaules solides pour porter leurs prises de becs comme leurs doutes et leurs erreurs. 

Aller à un examen et broder comme on peut, ou présenter un projet en y allant au culot, qui ne l’a pas fait ? Être un imposteur un  jour ou l’autre pour se sauver la mise. Au-delà bien souvent, il y a derrière des personnes riches de compétences, qualifiées et bourrées de talent qui doutent constamment d’elles-mêmes, se trouvent nulles et ont peur d’être. C’était le cas de Juliette. Elle souffrait constamment de ce sentiment interne d’imposture intellectuelle, tout ce qu’elle avait n’était jamais le fruit de son travail ou de son talent mais résultait systématiquement dans sa tête d’une forme de chance ou de hasard. Cette société de la performance est le cancer de la confiance en soi. Le plus talentueux devient Tartuffe où son seul vice n’a été que de croire en lui-même. 

Dès lors, quand avec toute la culpabilité de l’escobarderie, elle avoua par message à Heinrich Holz qu’elle :  “n’était pas qualifiée pour ce poste de comptable internationale”, qu’elle n’avait pas le “bon” diplôme, la “bonne” expérience, et qu’elle avait –  légèrement – exagéré son statut. Alors que ne fut pas sa stupeur en découvrant le message de son patron.

– Les filles, j’ai tout avoué à Mon allemand de Patron.

– Et alors il t’a dit quoi ? demandèrent t’elles avec appréhension.

Juliette leur lut le mail :

“Mademoiselle Dautin,

Je crois que vous ne comprenez pas la difficulté d’être un patron qui recrute de nos jours. Vous semblez croire qu’il est facile de trouver des personnes compétentes simplement en regardant leur diplôme.  Mais vous vous leurrez, la qualité de quelqu’un ne dépend pas d’un bout de papier, il dépend de sa débrouillardise, de sa curiosité et de sa volonté de bien faire et croyez moi, là dedans vous excellez ! Juliette, vous parlez de syndrome de l’imposteur, je vous réponds que vous souffrez du syndrome de l’autodidacte. Comme on dit en Allemagne :  Qui procède de l’erreur à la vérité, est un sage ; qui reste dans l’erreur, est un fou. Si vous croyez dans votre potentiel vous devenez compétent. J’ai su dès que je vous ai vu que j’avais raison de croire en vous, maintenant à vous de vous donner cette chance aussi.

Je vous attends donc lundi matin à 8 heures comme convenu. 

Bien à vous, 

Heinrich Holz”

– C’est génial Juliette, tu vois faut pas que tu doutes, t’es douée ! 

– Je suis sur le cul vraiment, va me falloir du temps pour digérer, je m’attendais à être virée ! 

Sidérée, consternée, médusée. Pour la première fois, Juliette allait devoir affronter cette vérité, son supérieur ne lui avait pas donné une chance anodine, il avait vu en elle un potentiel. Il lui faudra donc désormais se reconnaître comme une autodidacte, comme un esprit indépendant et en ce sens capable de se former de manière autonome. L’école ne donne pas la valeur. Le diplôme ne donne pas la légitimité. La curiosité amène à la découverte. La capacité est un état d’esprit. 

Les filles roulaient depuis une demi-heure avec la nostalgie singulière d’une fin de congés. Encore du sel et du sable dans les cheveux mais un cerveau déjà bien conscient de la reprise. Elles quittaient à mesure des kilomètres leur statut de vacancière pour le moins agréable au profit d’un statut plus inconfortable eu égard à leurs vies personnelles toutes chamboulées.

Juliette profita d’une plage de réclames à la radio pour faire son mea-culpa : “Ani je voulais te dire, au musée quand j’ai sous entendu que tu serais une mère tyrannique, je le pensais pas tu sais…s’excusa Juliette.

– Je sais, tu as dit ça comme ça, ne t’inquiète pas…

– Tu as pensé à ce que tu voulais faire ? demanda doucement Marion.

– Bah c’est vrai qu’avec le temps, j’ai commencé à accepter le truc, quand j’ai fait le test, j’avais envie juste de le jeter dans la poubelle et faire comme si de rien n’était, mettre le truc sous le tapis un peu…

– Ah non c’est crade de mettre ça sous le tapis du Airbnb, blagua Juliette.

– Je pense qu’il faudrait que j’en parle déjà en tête à tête avec Nicolas, c’est le père.

– Tu en es sûre que c’est le père ? demanda Juliette.

– Bah oui enfin,  je l’ai pas faite toute seule le morpion ! 

– Est-ce que tu penses qu’il y a moyen qu’il veuille aussi élever cet enfant avec toi ? Je veux dire, c’est différent que juste quitter sa femme, là il va avoir un bébé, avança Marion.

– Je dois dire qu’on avait jamais abordé le sujet… Je pensais pas vraiment me retrouver ici un jour… Honnêtement je sais pas par où je dois commencer et quelles seraient vraiment mes “options”. 

– Tu sais, quoi que tu choisisses tu n’es pas obligée d’avoir son avis, tu es libre de l’intégrer dans tout ça ou pas. C’est vraiment ton choix, la rassura Juliette.

– J’avoue que j’appréhende de lui en parler, que ça me rajoute une pression supplémentaire sur ma décision. En vrai, ce que je me dis c’est que si je le garde, toute ma vie je serais rattachée à Nicolas. J’imagine si c’est un petit garçon et qu’il lui ressemble et ça me fou la frousse puissance mille ! 

– Oui c’est vrai concéda Marion, mais le bébé sera aussi une partie de toi et si tu l’élèves “seule”, il aura bien plus de toi que de lui quand bien même ce serait un petit bonhomme. Crois moi je suis enseignante, des mamans qui gèrent ça seules mieux que des parents mariés j’en connais à la pelle ! Sache que c’est possible, que tu peux y arriver, je ne doute pas de ça moi.

– Je sais pas, je me sens perdue j’arrive pas à m’imaginer un bébé…

– Bah si tu veux c’est un truc petit, un peu moelleux, potelé et qui a des petits pieds et pas de cheveux. Enfin moi j’avais des cheveux parce que ma mère a eu des brulures d’estomacs pendant toute sa grossesse mais souvent c’est pas le cas, les bébés font pas de brûlure ni de cheveux, expliqua Juliette.

– Merci Juliette pour tes lanternes sourit Anissa, ce que je voulais dire c’est que je ne sais pas m’occuper d’un bébé, ni comment je pourrais le concilier avec ma vie active…

– Finalement la vrai question c’est pas vraiment Nicolas, c’est est-ce que tu aurais envie d’avoir ce bébé ? Lui demanda Marion.

– Marion a raison c’est sur ça que tu dois te focus ! De toute façon, quoi que tu choisisses on sera là, ça nous empêchera pas de faire notre colloc, si tu gardes le bébé il aura trop de pot : une super maman, une super tata Pompon et Juju sa marraine trop géniale.

– Tu vas vite en besogne toi ! On verra qui Ani choisit en marraine si c’est le cas, rectifia Marion. Et sinon… Si tu souhaites interrompre ta grossesse on sera là aussi avec toi de A à Z…

– Merci les filles ça me fait tellement de bien de vous sentir avec moi dans tout ça… Je vais déjà prendre rendez-vous pour voir le gygy, vérifier que tout va bien…Puis va me falloir sûrement faire une datation de grossesse et une prise de sang j’imagine.

– On viendra avec toi si tu veux, proposa Marion en direction de Juliette.

– Bien-sûr compte sur tata Juju ! 

– Juliette t’emballe pas, la tempéra Anissa.

Marion s’affirmait à elle-même, qu’elle allait se donner cette chance d’exister ailleurs que dans les yeux d’autrui. Depuis la veille, elle ne cessait de revivre en boucle la conversation avec Marc et des bribes de leurs échanges lui revenaient en écho. “Rien que te regarder ça m’épuise”. “Tu es tellement gentille, tu es douce, tu es parfaite mais Marion ça me fatigue de vivre avec quelqu’un d’aussi lisse” . Ces souvenirs étaient ancrés comme un traumatisme et il faudrait du temps à son mental pour apprendre à accepter ces réminiscences, à les digérer. Pour trouver la porte, depuis laquelle s’était perdue sur son chemin pour en arriver là. Il apparaissait qu’avec les heures passant, elle reprenait le dessus sur sa vie, avec le soutien bienveillant de ses deux amies, elle apprenait à voir ce qu’elle gagnait autant que ce qu’elle avait perdu. Elle vivait dans un flou chaotique dans lequel tout devait être reconstruit. L’intégralité de son univers avait éclaté dans un big bang assourdissant, elle devait progressivement créer une nouvelle constellation, plus lumineuse dans laquelle la vie reprendrait son cours.

Sortie de ses pérégrinations pleine d’espérance pour ce renouveau qu’elle s’offrait, Marion monta le son de l’autoradio :  Mais tu n’es pas là, Mais tu n’es pas là non, non non non non”.  Les filles se mirent à chanter en coeur : J’ai attrapé un coup d’soleil, un coup d’amouuuur, un coup d’je t’aiiiime”. Tout était comme avant, mais rien ne serait jamais plus pareil. 

Cette fiction t’a plu ? Fais-la découvrir autour de toi ! 

31 petits mots pour “Fiction de l’été : Un coup de soleil

  • Répondre laptitenoisette 31 août 2020 at 11 h 52 min

    Bonjour Séverine, merci beaucoup pour ton petit mot, je ne sais pas encore si il y aura une suite mais je suis très touchée par vos retours et heureuse d’avoir partagé cette expérience avec vous. A très vite j’espère !

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